Autre univers, les égouts de Paris. Plus de deux mille kilomètres de collecteur
où travaillent cinq cent cinquante égoutiers.
Saïd
Je m'appelle Méziane Saïd et, euh, j'ai bientôt 33 ans, malheureusement. Alors,
je suis égoutier. Mon grand-père était très ami avec Jean Valjean et à l'époque
du tournage des misérables, il a perdu un porte-monnaie, alors il a demandé si
j'pouvais et puis de père en fils, heu, on cherche, heu, son porte-monnaie. Non,
je plaisante !
Oui, effectivement, ça a été une vocation chez moi. J'suis assez curieux de
nature et le domaine des égouts m'intéressait énormément. J'ai déjà la sensation
de travailler dans le milieu où, ma foi, pas grand monde est appelé à descendre.
C'qui et relativement plaisant. Et puis bon, j'aime assez l'univers de la nuit.
Quand j'ai démarré dans la profession, c'était assez ragoûtant, j'sors le mot
bien évidement. Mais bon, maintenant, j'y prête plus attention, j'veux dire, ça
fait machinal. Avec les gars, ça se passe bien.
Les gens en général prennent pas conscience de ça, y jettent tout ce qu'on peut
imaginer dans un égout, sans se dire qu'y a des gens qui travaillent en dessous
et que ça pourrait leur nuire.
Les maladies qui me font le plus peur, actuellement, moi je, même si ça fait un
peu, un peu gros, j'parlerais du Sida. Si y a des endroits où on peut trouver
des seringues, et des aiguilles, c'est bien un égout, hein.
Une fois qu'on a dégagé les flottants, on vient mettre en manoeuvre c'qu'on
appelle notre bateau vanne. Qui lui, est chargé du curage de l'égout. On est six
sur un bateau vanne. C'est un boulot qui est assez physique, dangereux. Tout est
calculé : là où on doit positionner nos jambes, nos mains.
J'ai un collègue que est passé par dessus bord du bateau. J'ai vu sa main.
J'l'ai vu s'enfoncer. J'ai vu son gant qui dépassait et puis, j'lui ai attrapé
sa main et j'ai crié. Bon, mes collègues sont intervenus instantanément. Il a bu
bien la tasse puisque on l'a pas vu pendant plus d'un mois. Il a fait plusieurs
lavages d'estomac, des examens. Il a un petit peu, toujours, la hantise de la
chute et on sent qu'il est plus à 100%, quoi.
Tout le monde dans mon entourage ne connaît pas mon métier et puis bon, puisque
c'est pas un métier qu'est suffisamment reluisant pour en parler. J'veux dire
qu'les gens... Quand je suis en égoutier dans la rue et, bon, que j'marche, les
gens nous regardent toujours de façon assez... assez ragoûtante. J'en parle pas.
Honte, j'ai pas mais quelque part, j'veux dire que si j'avais pu être maître
nageur à St Tropez ou bien, j'sais pas, ou essayeur de matelas chez Dunlopilo,
ça j'en parlerais plus aisément. Mais égoutier, non, j'avoue que j'en parle pas.